A l’institut de neurochirurgie infantile de Kiev, Maxime 8 ans, est intarissable sur les phénomènes paranormaux et en particulier sur les diverses manifestations de la présence d’un fantôme. Il met en place des typologies de revenants selon leurs moyens d’actions. Il me prévient: un enfant est mort l’avant-veille dans le service, il faut être attentif à la présence du spectre et ne pas l’effrayer. En parcourant les décombres de la ville de Pripiat, vide de bruits familiers et de présence humaine ( les oiseaux seuls sont revenus ) je garde à l’esprit les leçons du chasseur de fantômes . Je note les signes : le bruit de l’eau qui s’infiltre, les courants d’air, le verre qui se brise. La ville entière est une scène de crime. Pripiat fut construite en 1970 pour accueillir les ouvriers du nucléaire de la centrale de Tchernobyl. C’était une ville modèle comme on le concevait alors en union soviétique et ses 48000 habitants jouissaient d’un confort moderne enviable et d’un accès privilégié à toutes sortes de loisirs. Le 26 avril 1986 le plus grave accident nucléaire civil que le monde ait connu se produit sur le site du réacteur n°4 de la centrale. Bien que située à 4km de l’accident, la population de Pripiat ne sera informée que le surlendemain et entièrement évacuée en quelques heures. Officiellement l’exil devait durer trois jours, ils ne sont jamais revenus. Aujourd’hui marcher dans Pripiat c’est faire l’expérience d’un temps post-apocalyptique. Herculanum moderne, la ville témoigne à la fois d’un temps soviétique révolu (les façades des immeubles annoncent toujours l’avenir radieux des travailleurs socialistes) et du caractère irréversible de la catastrophe. Les objets désertés évoquent un quotidien révolu: cabines téléphoniques, autos tamponneuses du parc d’attractions, cartes aux tableaux des salles de classes, lignes de flottaison de la piscine Dans ce silence inquiétant, les témoignages recueillis les jours précédents : quotidiens empoisonnés des « liquidateurs de Tchernobyl », travailleurs de la centrale, habitants de la zone contaminée, enfants malades prennent une autre dimension. À l’instar de cette ville désertée, il semble que 20 ans après le mal ne détruise pas, ou plus, les corps immédiatement : il les rend inhabitables. Ce travail a été réalisé dans le cadre d’une commande de Handicap International.